A quelques jours de la sortie (8 octobre) de son livre “Le Continent des Imprévus – Journal de bord des temps chaotiques” (éditions Les Belles Lettres), VISOV a rencontré Patrick Lagadec, personnalité incontournable et hautement estimée au sein des acteurs de la gestion des risques et des crises.
Entretien a/ @plagadec sur son livre sur situations chaotiques ! Itw à retrouver sur http://t.co/88nR9hfJsC ! #MSGU pic.twitter.com/mohZWM2yE3
— VISOV | #MSGU (@VISOV1) 22 Septembre 2015
VISOV est particulièrement honorée de l’accueillir, non seulement pour ce premier entretien publié sur le site, mais aussi parmi ses tout nouveaux volontaires experts. Une vraie chance pour nous et les volontaires numériques. En effet, Patrick Lagadec a été directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique (1977-2013) et s’est consacré à l’étude des risques majeurs, des situations de crise et des grandes ruptures. Il fut également consultant auprès d’Etats-majors industriels, d’administrations publiques et d’ONG. “Patrick, c’est le parcours d’une vie au service de l’événement hors norme », résume fort bien le Colonel Éric Grohin des pompiers du Gard. Pour nous tous, son ouvrage est définitivement un must read, une obligation tant personnelle que professionnelle ! Ce livre nous oblige à nous projeter vers l’inconnu et à remettre en question nos croyances et la pratique de notre métier. Patrick Lagadec nous explique justement cette impérieuse nécessité dans ces propos recueillis par Marina Tymen (et relus par l’interviewé). Bonne lecture !
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Patrick, votre livre nous plonge dans vos expériences passionnantes durant plus de 40 ans et présage fortement de la très faible capacité des dirigeants à pouvoir piloter les situations que vous nommez « chaotiques ». Quelle a été en fait l’intention première de votre livre ?
Je souhaitais reprendre dans mon expérience ce qui pouvait faire sens pour aborder les grands problèmes aujourd’hui : non plus tant des crises spécifiques en contexte relativement stable, mais des enchaînements de crises dans des univers eux-mêmes profondément instables, interconnectés et donc crisogènes. Mille et une expériences, dans de nombreux pays, me permettaient de disposer d’une sorte de radiographie de nos résistances les plus profondes, mais aussi de nos atouts quand il nous faut inventer face à l’inédit. C’est Todd LaPorte à Berkeley qui, l’an dernier, a achevé de me convaincre de l’intérêt de cette auscultation : « Nous publions toujours les résultats de nos travaux, jamais les cheminements – vous devez écrire ce livre ». Il restait à trouver la forme de l’écrit et j’ai opté non pour l’essai mais pour le récit, qui reprend mon Journal de bord : mille et un petits flashs, des expériences croquées sur le vif, de façon brute, pour laisser le lecteur s’introduire dans l’envers du décor, et réfléchir lui-même – sans lui dicter constamment les leçons ou plutôt sans doute les questions, à tirer de l’expérience. Le nœud du livre, c’est effectivement que nous sommes au milieu de bouleversements considérables et que nos boîtes à outils ne sont plus du tout suffisantes. Davantage : nos grammaires d’action, nos cultures profondes sont décalées et cela quel que soit le pays, même aux USA. Le défi est bien de se réajuster aux enjeux actuels, sans quoi nous risquons de terribles défaites (comme on l’a vu avec Katrina, ou la canicule), et des ruptures de confiance, des désaffiliations brutales, qui peuvent devenir les déclencheurs de fuites aux extrêmes et de logiques mortifères – ce que l’on voit déjà à l’œuvre. Un nouveau continent est à découvrir, de nouveaux repères sont à forger : c’est à cette tâche à laquelle il nous faut nous atteler au plus vite, bien au-delà de la recherche frénétique « d’éléments de langage », de plus en plus inopérants. Pour cela, j’ai valorisé au maximum toutes les circonstances, toutes les démonstrations des grands explorateurs et découvreurs que j’ai eu la chance d’analyser ou de croiser de par le monde. Pour, justement, ne pas laisser le chaotique nous jeter dans la sidération et la capitulation suicidaire.
Depuis des années déjà, et dans le livre on les retrouve en filigrane, vous bousculez le vocabulaire de la crise : chaos, volatile, pilotage dans l’inconnu…
J’ai commencé à étudier la question des crises au début des années 80. Au milieu des amoncellements de définitions proposées j’avais surtout retenu l’équation crise = urgence + déstabilisation. Les travaux ont surtout été marqués par l’analyse d’accidents particuliers conduisant à des effets boule de neige de plus en plus problématiques – Three Mile Island, Tchernobyl, etc. Et c’est pour cet univers de l’urgence complexe que sont pensés nos outils de gestion de crise. Le tournant du siècle, avec notamment le 11 septembre, puis la crise financière de 2007-2008, nous a obligé à reprendre tout le dossier des crises. Nos socles ne tiennent plus, ou de moins en moins ; nos ancrages sont flottants ; les armatures sont fragilisées ; les tissus sont déliés. Et ceci sur tous les fronts, économiques, écologiques, culturels, technologiques, géostratégiques, etc. Certes, ce que nous savons de la gestion de crise reste utile comme outil tactique, mais l’enjeu stratégique est autrement plus vaste, et profond. Le plus difficile pour nous est d’accepter que nous ne pouvons plus prétendre livrer des boîtes à outils prêtes à l’emploi : le problème n’est même plus tant d’avoir les bonnes réponses que d’être capables de formuler les bonnes questions, pour nous permettre d’inventer des trajectoires pertinentes. Comme le dit l’un des grands témoins rencontré dans mon périple : « Nous entrons dans un nouvel âge critique et la grande affaire ce ne sera pas d’avoir les solutions, ce sera le courage de porter les questions de telle manière que ce courage de porter les questions engendre quelque chose qui ne soit pas stérile. » (Maurice Bellet) Or, et c’est là pour nous une terrible épreuve, cela suppose que l’on puisse tolérer qu’on ne dispose pas déjà des réponses, qu’on ne saurait les imposer du haut et de façon pyramidale, linéaire, silo par silo. Nous voici directement dans l’exigence d’exploration partagée, d’avancée collaborative. Bien loin de nos références identitaires : « je dirige parce que, dans le silo dont j’ai la charge, j’ai les bonnes réponses, les bons modèles, les bons chiffres ». Je mentionne ainsi les paroles extraordinaires du Général Honoré, l’un des rares héros de Katrina, lors du cyclone Sandy : « Ne bloquez pas les villes, ne fermez pas les rues ; laissez les voisins aider leurs voisins ; et aidez-les à aider leurs voisins ». C’est l’incroyable initiative des ferries le 11 septembre à Manhattan, qui sauvent entre 250 000 et 500 000 personnes en les évacuant, sans que cela ait jamais fait l’objet d’aucun plan. Sociétés complexes, dynamiques complexes, pilotages complexes. D’où le titre du livre : Le Continent des imprévus, qui appelle créativité et intelligence partagées.
L’ancienne génération va-t-elle selon vous réussir à se remettre en cause dans sa gestion des risques, d’autant plus dépassée par la puissance du numérique ?
Certains anciens ont réussi à percuter et à moderniser leur approche. Le meilleur exemple que je donne est celui de l’ouragan Sandy quand la « tête chercheuse » de la FEMA (la Federal Emergency Management Agency, aux USA) m’a expliqué comment, devant l’ampleur de l’événement, il avait mis en place un groupe « Invention en temps réel » ! Tout simplement parce qu’il a compris que l’on serait confronté à beaucoup d’inédit – le plus important étant finalement la place explosive du numérique et de la connectivité temps réel en mode horizontal. Désormais, il faut savoir autant inventer qu’appliquer des règles. C’est comme pour l’affaire des migrants actuellement : l’invention est impérative, et cela exige plus d’inventivité collective que de béton et de barbelés. La FEMA avait d’ailleurs identifié d’autres exigences bien intéressantes : détecter les initiatives émergentes, et les consolider sauf jugement montrant un grand danger ; détecter les erreurs et les failles, et les corriger au plus vite. Cela ne veut pas dire que l’on rejette les savoirs et les pratiques d’excellence qui sont et restent les nôtres. Il y a de nouveaux alliages à maîtriser. Je relate ainsi la rencontre avec le Colonel Christian Pizzocaro, Commandant des opérations de secours lors de la catastrophe d’AZF à Toulouse le 21 septembre 2001 : il sut marier des logiques adaptées au chaotique qui apportaient une indispensable flexibilité et vélocité, et des logiques habituelles qui apportaient leur puissance. Il faut bien comprendre la nature de l’obstacle : savoir travailler sur feuille blanche, et sans oublier certains fondamentaux qui seront à reprendre sous une forme et dans des visions et stratégies reconfigurées. Celui qui reste seulement accroché aux doctrines convenues sera rapidement pulvérisé par l’événement : aveuglement, sidération, agitation, désespérance… C’est la dynamique funeste qu’il nous faut éviter, sur tous les fronts.
Y-a-t-il selon vous des manquements dans la formation des dirigeants en matière de gestion de crise et des risques ?
Je cite dans le livre cette remarque d’un certain Joseph Spence à l’humour britannique si merveilleux qui observait en 1732 qu’il « aimerait beaucoup les Alpes s’il n’y avait pas de montagnes ». Je retrouve cela dans les formations aux risques et aux crises : on énumère des typologies de situations ; on fixe des doctrines, des organisations, des modalités d’emploi ; on entraîne à coordonner et à communiquer… mais le tout sous réserve qu’il n’y ait jamais de surprise vraiment décisive dans les hypothèses convenues. Tout, sauf la page blanche. Toutes les réponses, sauf les questions. De la communication, pour « informer le citoyen » – sans autre forme de dynamique. Dans les situations actuelles, cet univers est le creuset de nos défaites. Certes, il faut savoir faire tout cela, dans des niches spécifiques, lors de nos grandes situations de crises actuelles. Mais l’enjeu stratégique est bien ailleurs. Ce sera de naviguer dans des turbulences illisibles, sans limites (voyez Volkswagen en ce moment, comment « isoler » la crise ?), au milieu de réseaux d’acteurs mutants… Sans préparation à la feuille blanche, sans accoutumance aux dynamiques venant d’à-côté et d’en bas, la paralysie est vite au rendez-vous. Mais bien entendu cela nous éloigne considérablement de nos grands exercices-démonstrations dont on connaît déjà à l’avance les logiques, les rythmes, les acteurs et les résultats. Il faut mesurer à quel point cet univers mental pèse sur nos préparations, nos retours d’expérience, nos colloques, avec le Powerpoint qui règne en maître, devenant l’alpha et l’oméga de nos démarches. Je cite ainsi dans le livre une conférence de l’IATA à Rome sur les crises aéronautiques en octobre 2001 où j’ai dû ouvrir moi-même le débat sur les conséquences du 11 septembre dans le domaine : les Powerpoints étaient prêts depuis des semaines, comment oser demander un temps de réflexion sur feuille blanche en raison du séisme que représentait le 11 septembre ? Je raconte ma surprise en voyant la fuite stupéfiante devant mon insistance à ouvrir la question taboue. On me laissa me débrouiller pour ouvrir une session non prévue. Et comme me le dirent les responsables de la sécurité d’American et de Continental Airlines croisés à l’issue de cette session non prévues : « C’était le seul point important de la conférence ».
Quelles qualités et compétences doit-on avoir quand on commande en période chaotique ?
Le point crucial est d’être en mesure de montrer que l’on est précisément rompu à ces univers illisibles. Ce qui suppose une solide préparation personnelle sur feuille blanche. L’inverse de cette attitude que je pointe avec un exemple dans mon livre lorsqu’un président arrivant en salle de crise lance : « J’espère que personne autour de la table n’a de mauvaise nouvelle ». Avec cette remarque susurrée en réponse : « J’espère qu’il va s’en tirer ». Cette préparation permettra tout d’abord de ne pas tomber dans tous les pièges habituels, mortels : refus d’entendre, refus de mettre à l’ordre du jour – je rapporte dans le livre cette aveu d’un membre d’une direction générale en 2007 après la fin d’un séminaire – « Il faut que je vous dise qu’ici un sujet est interdit au niveau de la direction générale – les subprimes ». Puis, quand les faits se font aveuglants : sidération, exclamations pathétiques sur le mode « Personne n’aurait pu imaginer pareil choc ! ». Et bien sûr, retard complet de l’action, ce qui est mortel dans des dynamiques à cinétiques ultra-rapides comme elles le sont désormais. Avec finalement des paroles totalement décalées à l’endroit des autres parties prenantes –même les protestations rituelles de « transparence » commencent à devenir pénalisantes tant elles masquent souvent mal le vide de préparation et de compétence. A l’inverse, il faut être rapidement capable de clarifier le « de quoi s’agit-il, vraiment ? », qui va d’ailleurs être mutant ; les erreurs majeures à éviter, celles que l’on commet inévitablement et instantanément lorsque l’on est sous la coupe de la peur et de l’impréparation ; les acteurs concernés, y compris le tableau virtuel, de plus en plus déterminant ; et plus encore les quelques impulsions positives qu’il faut donner au système pour reconstruire du sens, et de la flottabilité générale. Le tout permet une écoute très ouverte, et surtout le message que l’on n’est pas tétanisé par l’inédit, que l’on saura stimuler l’intelligence collective, et construire des trajectoires pertinentes – des « inédits viables » comme le dit Michel Séguier, l’un des grands témoins rencontrés dans mon périple. Encore une fois, tout cela nous est très étranger. Combien de réunions et colloques où l’on découpe les problèmes par tranches étanches : risque naturel, technologiques, sociétal… Et l’on traite l’un ou l’autre, l’un après l’autre… Un collègue américain me disait qu’il faut être formaté à penser qu’en plein milieu d’une inondation majeure à gérer, on aura en même temps une cyberattaque. Au nombre des tableaux présentés dans mon livre, je cite deux rencontres, lors de deux mastères, qui montrent bien la profondeur culturelle de ces questions. Premier mastère, un militaire explique à ses condisciples étudiants : « J’ai fait militaire, je suis tranquille car j’ai les règles, et c’est pourquoi je vous suis supérieur » – il fut rapidement rejeté par ses condisciples. Second mastère, autre étudiant militaire « J’ai fait militaire parce que là je savais qu’il faudrait inventer » – ce second militaire était des forces spéciales, ce qui ne m’a pas étonné. Il ajouta : « Si j’avais suivi le plan, je ne serais pas avec vous, je serais mort ». Et il put travailler en pleine coopération inventive avec ses collègues civils.
Finalement, des dirigeants préfèrent la personne en charge de la crise qui va savoir rassurer à celui qui va venir tout compliquer et poser des interrogations ?
Je rapporte dans le livre des signes clairs de cette difficulté : des cellules de crise que j’ai vidées sur-le-champ par une simple question « hors cadre ». Un dirigeant qui explose quand je pose une question qui sort des hypothèses consacrées : « Mais, pourquoi vous nous attaquez tout le temps ! ». Je rapporte à l’opposé cette remarque d’un ancien responsable de la sécurité à Washington : « J’étais venu à l’aube sur le terrain où allaient venir des foules pour le grand événement sur lequel nous avions travaillé depuis longtemps. Et je me suis posé une seule question : “Quelle question j’ai oublié de poser, à qui j’ai oublié de parler ? ». Mais, tolérer le questionnement suppose que l’on soit préparé aux questions, et pas seulement aux réponses. Or, précisément, c’est là le grand vide de nos préparations. En réponse, je propose des entraînements sur « feuille blanche ». Et, de façon opérationnelle, ce fut l’innovation des « Forces de réflexion rapide », méthode que j’ai cernée lors d’un colloque à Stockholm en 2005, et que j’ai pu développer sous la conduite de Pierre Béroux à EDF, en coopération avec Xavier Guilhou. Depuis, cela est maintenant développé ici ou là, notamment en Belgique, comme à l’échelon fédéral en Suisse. J’ai souvent entraîné ces équipes à détecter, analyser, proposer des options en présence de signaux aberrants, qui sont autre chose que des signaux faibles – faible, c’est seulement d’intensité moindre ; aberrant, c’est hors des cartes de lecture. Il faut donc aussi former les gens à se projeter dans des exercices mentaux surprenants, puisque, comme je le souligne en rapportant une phrase clé de Todd Laporte, le problème n’est pas de se doter de réponse pour ne pas être surpris, mais de se préparer à être surpris.
Quels sont les blocages en France qui font que les scénarios chaotiques ne soient jamais considérés possibles ?
Tout d’abord, c’est un problème universel. En France, c’est seulement plus prononcé. Peut-être en raison de nos cursus d’excellence, cruciaux pour la qualité de notre administration, effectivement reconnue comme l’une des meilleures au monde. Mais les crises d’aujourd’hui n’entrent pas bien dans les logiques stables sur lesquelles repose l’activité d’administration – avec ses limites, ses cadrages, ses normes, ses règles… Je donne dans le livre maints exemples concrets des conséquences d’une donne de cette nature : des dirigeants qui ne sauraient ouvrir des questions hors cadres au risque de perdre leur pouvoir et leur identité ; des collaborateurs qui s’empressent de fermer eux-mêmes toute question pour ne pas déplaire – jusqu’à mettre leurs responsables en situation de haute vulnérabilité.
Les politiques ont-ils les capacités à gérer une crise de sécurité civile ?
Là encore je donne maintes expériences de responsables aux abonnés absents. Ou venus juste faire un discours. Trop souvent, on prépare les dirigeants en leur faisant visiter les salles de crise, en leur parlant de coordination, en les assurant de l’existence de plans, et en les formant à la communication en media-training. Or, dès la première minute de la crise contemporaine, ils seront confrontés à l’effondrement des cadrages convenus. La question vitale aujourd’hui est de leur proposer des préparations visant le pilotage, non la surveillance des rouages ; et une préparation à la communication dépassant très largement les basiques de la communication de crise, puisqu’ils auront non pas à dire ce que l’on sait avec célérité et compassion, mais à évoluer dans un univers où les réponses sont hors de portée immédiate, et les acteurs de la communication innombrables et insaisissables. Comme me le précise un colonel de sapeurs-pompiers de grande classe, le plus grand défi aujourd’hui est le risque de perte du pilotage : le monde entier viendra sur une situation difficile, et si l’on ne montre pas une compétence d’excellence on perdra rapidement ce pilotage. Ce qui n’est guère une hypothèse retenue dans nos plans comme dans nos exercices.
Vous regrettez le manque d’exercices de crise en France…
Oui, d’autant plus ceux qui existent sont tellement convenus et prévisibles. Il faut une tout autre approche en intégrant les dynamiques émergentes dans la population, même si cela requiert de nouvelles approches. Ainsi par exemple, on pourrait aller voir tel ou tel responsable avant un exercice pour penser cet exercice, en lui demandant ce qui lui serait le plus utile. Ce serait plus profitable que de seulement prévenir qu’à telle heure il faudra que les élèves montent dans des cars. Mais le problème le plus vif est l’absence de participation des niveaux exécutifs à ces exercices. Et le message est terrible. Je rapporte le cas de cette conférence où, comme souvent, il est indiqué dans le mot d’accueil que la direction ne pourra se joindre à l’assistance. En fin d’exposé, je reçois une seule question : « Vous voyez qui n’est pas là aujourd’hui. Pensez-vous qu’on a une chance de s’en sortir le jour J » ? La suite prouva que non. Mais il y a des cas exemplaires. Je rapporte ainsi le cas d’une institution où j’avais pu travailler avec le Président avant un événement majeur. Lorsqu’un problème un peu délicat est survenu j’ai vu une salle de crise comme aveuglée, incapable de voir les conséquences les plus criantes de la situation. J’ai glissé un petit mot discret au PDG « Vous avez perdu votre salle de crise » ; et lui de me répondre « Oui, j’ai vu». J’encourage souvent les uns et les autres à visionner le film « La chute du faucon noir », qui reprend l’épisode d’une intervention des forces spéciales américaine à Mogadiscio. Soudain, l’opération change totalement de nature, les intervenants se retrouvent en univers très éloigné de leurs cadrages initiaux. Le colonel en charge le diagnostic parfaitement : « Nous avons perdu l’initiative ». Feuille blanche. Reset. J’ai bien une boîte à outils pour mettre la roue de secours après une crevaison. Problème : vous êtes sur des sables mouvants, la mer monte, et l’une des voitures de secours sera peut-être conduite par des terroristes… Je place comment le cric ?
Y a t-il des différences entre la France et l’international ?
Même aux USA, il y a très peu de stratèges « crise ». J’ai cependant vu des avancées intéressantes à la FEMA, qui a fait des progrès stupéfiants entre Katrina et Sandy. Ainsi, outre ce groupe « invention », ils ont aussi songé à mettre sur pied une cellule dédiée à détecter les erreurs et les initiatives émergentes. Nous sommes loin du classeur sacré donnant toutes les procédures et toutes les solutions. Ce qu’il y a de sûr c’est que, si on ne change pas nettement de « braquet », la progression ne pourra se faire qu’à la suite de grands fiascos, de plus en plus lourds humainement, économiquement, et qui fragiliseront durablement nos sociétés.
J’ai adoré l’expression « force de réflexion rapide ». Quid pour nous à VISOV dans notre pratique MSGU ?
VISOV est à ce stade une force d’intervention rapide. Pour que vous soyez en mode réflexion rapide, il faudrait qu’en votre sein il y ait des gens qui arrivent à prendre du recul sur l’opérationnel en pleine urgence. Se poser les bonnes questions tout en avançant. (Et c’est précisément ce rôle que Patrick va jouer auprès de nous ! ndlr). Dans vos actions, il faut non seulement faire en sorte que tout décalage soit le plus limité possible mais aussi avoir une capacité de recul au cas où vous seriez vous aussi pris dans la tourmente. Et là les scénarios sont infinis. Depuis l’erreur que l’on commet, et qu’il faut détecter au plus vite, jusqu’à la situation que l’on sous-estime souvent : soudain, le vide se fait et vous devenez pilote par défaut d’une crise pour laquelle vous n’avez ni compétence opérationnelle, ni légitimité. Je rapporte ainsi, en ce qui me concerne, la situation décoiffante de se retrouver à faire une conférence de presse dans des locaux dépendants du Premier ministre à la suite de la disparition de tous les officiels, soudain interdits de parole après avoir invité la presse française au débriefing d’un exercice visant à améliorer les capacités de communication des responsables étatiques…
Que pensez-vous justement d’une organisation citoyenne telle que VISOV et du rôle du citoyen comme acteur de sa sécurité et celles des autres ?
Comme je l’ai récemment écrit dans un tweet, VISOV est en soi une percée opérationnelle, une percée théorique, une percée culturelle. Dans ce temps où tout ne peut plus être piloté depuis des bureaux centralisés, l’appui de VISOV est extrêmement précieux. Cela met en scène une participation citoyenne active, compétente et responsable. Comme je l’ai déjà indiqué, plus VISOV va se développer, plus il sera nécessaire de faire monter en compétence, de consolider de nouvelles cultures du côté des utilisateurs officiels de VISOV. Le piège serait que les deux ne progressent pas à la même vitesse, ce qui conduirait rapidement à des risques importants : de la mise à l’écart de VISOV à l’inverse – la remise des clés à un réseau qui n’a ni les compétences ni la légitimité d’un pilotage public global. Cela suppose que l’on comprenne bien la profondeur de la nouvelle donne des réseaux sociaux. Ils bouleversent tous les champs de vision. Ne pas le comprendre, c’est se mettre en position d’échec.
Finalement, quels bons réflexes doit-on avoir ?
En trois mots : prise de recul, questionnement et collaboration. Prise de recul pour ne pas se laisser prendre au piège de la tétanisation ou la lecture unique. Questionnement toujours sur le mode : « Ça doit être plus compliqué que je ne le pense » ; avec la question : « Quel est le piège qui m’a échappé ? ». Avec la capacité à se recaler le plus rapidement possible quand il y a une faille dans le système. Le tout est sous-tendu par une disposition mentale à cultiver avec résolution : dans notre monde chaotique, la navigation exige l’invention. C’est pourquoi, dans mon livre, je ne cesse de me référer aux découvreurs, aux navigateurs au temps des grandes découvertes. Ils n’avaient pas la carte. Et Henri le Navigateur au XVIème siècle déjà exigea de ses collaborateurs que, sur les cartes, ils mettent du blanc partout où il y avait « du faux, du mythe et du sacré ». Il faut aussi savoir que notre seule arme contre l’accélération phénoménale de toutes les dynamiques, c’est la prise de recul et le collaboratif. Précisément ce que l’on refuse le plus souvent lorsque l’on n’est pas préparé.
Au nom de toute l’équipe VISOV, merci beaucoup Patrick
pour cet entretien passionnant que vous nous avez réservé !
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Au lendemain du tragique weekend d’intempéries dans les Alpes-Maritimes (3 et 4 octobre 2015), nous avons demandé sa réaction à Patrick Lagadec. Voici sa réponse par écrit.
“En écho à l’actualité immédiate, je m’en tiendrai pour le moment à deux lignes d’interrogation, de réflexion et de proposition.
1. L’alerte
L’épisode et ses bilans suscitent de nombreuses interrogations sur la classification en alerte orange. Certes, il y aura à examiner ce point avec Météo France, et d’autres acteurs de l’alerte météo, pour ajuster toujours au plus près la qualification des phénomènes à l’intérieur de la grille de référence.
Plus fondamentalement, il va falloir réfléchir à nouveau à la question du support de cette alerte. En raison de la multiplication des phénomènes extrêmes, de la multiplication inévitable aussi des fausses alertes, deux facteurs qui peuvent émousser la réactivité, entamer la crédibilité. En raison de la gravité croissante de ces phénomènes et de la complexité de leurs impacts, qui vont de plus en plus projeter dans l’inédit et l’inconnu. La substance du message va de plus en plus souvent devoir être du type : « Attention, on entre dans une situation où l’on ne connaît pas la gravité exacte du phénomène, encore moins ses impacts potentiels : vigilance et prudence – à votre niveau – sont nécessaires et vitales. »
Il est certes difficile de passer pareil message dans une alerte qui doit être simple – ce qui appelle des communications préalables assez décalées sur le fond avec nos messages habituels, toujours sûrs d’eux, fermés, et « rassurants ». Il va nous falloir travailler autour de ces difficultés, expérimenter des modes d’alerte, écouter les suggestions des acteurs, ajuster au fil de l’expérience. On ne trouvera pas d’un coup la bonne formule. Davantage : pareille formule n’existe pas, il va falloir se mettre en dynamique d’ajustement-invention permanente – ce qui n’est certes pas très confortable, ni en phase avec nos logiques administratives habituelles. Mais c’est le défi posé par nos environnements désormais très instables, pulvérulents, exposés à des mégachocs et turbulences ultra-rapides.
Dans cette activité d’alerte, l’irruption des médias sociaux peut aussi devenir un levier très intéressant permettant réactivité, flexibilité, ajustement qui deviennent nécessaires pour naviguer dans ces contextes profondément instables et surprenants. Plus on sera compétent en ce domaine, mieux on saura tirer parti de cet outil, et maîtriser les inévitables risques liés à ces nouvelles formes de connectivité en temps réel.
Mais il ne faut pas se le cacher : pour dépasser la grille actuelle, ce qui ne veut pas dire la condamner, il va falloir s’inscrire dans une nouvelle perception des crises actuelles. Les crises quittent de plus en plus le simple territoire de l’urgence pour entrer dans des univers chaotiques marqués par la démesure, la coagulation flash, la contamination non mécanique mais systémique, etc.
C’est précisément le but de l’ouvrage Le Continent des imprévus de nous mettre en posture d’entrer de façon créative dans ce territoire très mal connu qu’il faut apprendre à traiter si l’on veut échapper aux déroutes multipliées.
2. Comportements
Un constat crève l’écran et sature les micros : « Ils ont tenté d’aller sauver leur voiture, leur scooter… ». Il va sans doute falloir, surtout en raison du caractère inédit des situations, s’interroger sur les messages conventionnels, le plus souvent formulés sur un mode d’interdiction simple – « Ne pas s’exposer à la foudre, ne pas sortir de chez soi, ne pas traverser de ruisseaux, etc. ». Probablement faudra-t-il expérimenter des approches prenant mieux en compte ce que ressent la personne confrontée à un choc inconnu : elle va instantanément être prise par un besoin frénétique, irrépressible, de faire ceci ou cela. Peut-être nous faudrait-il communiquer sur le mode : « Oui, vous aurez vraiment envie d’aller garer autrement votre voiture ; vous ne pourrez vous empêcher d’aller mettre une bâche sur votre toit ; vous n’aurez qu’une seule idée en tête : revenir au plus vite chez vous et donc de traverser tout de même le tout petit ruisseau qui vous barre la route ; vous voudrez absolument aller voir la mer démontée et prendre un selfie de rêve, dos à la vague tueuse. Vous ressentirez le besoin absolu de faire cela. Et pourtant, c’est la dernière chose à faire. Stoppez un instant. Réfléchissez. Votre vie vaut plus que votre scooter, votre voiture, un dernier tweet ou un dernier petit selfie. »
Là encore, pas de théorie toute faite : il va falloir travailler, expérimenter, impliquer, et apprendre en marchant. Ou plutôt en courant, car l’urgence est là. Les nouvelles crises formes sont là et bien là : à nous d’être aussi présents sur le terrain de nos risques tels qu’ils sont.”
Retrouvez Patrick Lagadec sur son blog : http://www.patricklagadec.net/fr/ et suivez-le impérativement sur Twitter @plagadec !
#Expocrise2015 dans nos cultures collaborative-horizontale ne pas être pénétré de ces nouvelles dynamiques, c est perdre la guerre — LAGADEC (@plagadec) 17 Septembre 2015
#Expocrise2015 Msgu: expertise plurielle et collaborative. Comprendre que ces avancées opérationnelles sont fondées sur avancées théoriques
— LAGADEC (@plagadec) 17 Septembre 2015
#Expocrise2015 message premier à envoyer aux bénévoles: Votre premier devoir est de ne PAS aggraver la crise. — LAGADEC (@plagadec) 17 Septembre 2015
JE VIENS DES ILES VOLCANIQUE LES COMORES ,NOUS AVIONS UN VOLCAN LE KARTHALA, toujours active ma ville natal à subie et se trouve menaces par des catastrophe naturel répétitif ,manques des moyen mais infos donc je serai heureux d’avoir,des infos pour la création d’un unité des MSGU au comores, coordialement hassani
Bonjour Abdou, merci pour votre message ! Nous prenons contact avec vous par mail. Bon WE ! ^Marina